Jacques Weber, l’ogre de la scène
Jacques Weber est un ogre, dans tous les sens du terme. Il engloutit la scène, il dévore les mots de deux autres ogres que sont Flaubert et Hugo avec toute sa fougue et sa gourmandise de comédien, sur le plateau dépouillé du Théâtre Antoine.
Il faut se précipiter car ce moment unique sur scène ne se joue que sur quelques représentations, du 18 juin au 2 juillet. Chaque soir, Weber se donne comme jamais. Un vrai marathon man du mot, de l’action. De la scène, en somme.
Il virevolte avec joie à l’image de ses feuilles qu’il essaime sur le plateau, au gré de ses mouvements et de son enthousiasme d’enfant retrouvé.
Les grands textes n’ont jamais été aussi accessibles et aussi vivants. Un immense travail du comédien qui ne se voit jamais. Car Weber est à la fois passeur, animateur cabot, mais pas seulement ! Heureux de dialoguer avec son public, de le sentir rire, s’émouvoir et même parfois applaudir à des moments inattendus, il le plonge soudain sans crier gare dans le corps-même du texte, dans sa chair la plus intime.
En matière d’écriture, on découvre un Flaubert, certes exigeant envers les autres (une lettre mémorable à sa maitresse et poétesse, Louise Colet, en est une parfaite illustration) mais surtout exigeant envers lui-même.
L’Ecriture ou l’entrée en religion
Dans son célèbre « gueuloir », Flaubert « gueule » son texte, pour, à la virgule près, mieux en extraire la substantifique moelle. En clamant son texte, la forme rejoint le fond avec plus de clarté, avec plus de vérité. « De la forme naît l’idée ! ».
Flaubert écrit à Hugo. Et avec lui, échange sur l’écriture et l’entrée en religion que cette dernière réclame.
Jacques Weber parvient ainsi à souligner toute la force du texte d’Hugo, qui n’aurait pas à démériter face à la caméra d’un George Lucas ou d’un réalisateur de Game of Thrones. Bien au contraire !
« La Retraite de Russie », Jacques Weber nous l’a fait vivre jusqu’à nous faire grelotter et sentir la faim nous tenailler :
Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois l’aigle baissait la tête.
Sombres jours ! L’Empereur revenait lentement,
Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
Il neigeait. L’âpre hiver fondait en avalanche.
Après la plaine blanche une autre plaine blanche.
On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau.
Hier la grande armée, et maintenant troupeau.
Comme le souligne Weber, Hugo est aussi à l’aise dans l’écriture de l’épique, que dans celle du quotidien (instant, objet, détail, aussi petit soit-il).
Flaubert, Hugo, Weber, un trio d’ogres de littérature, de poésie et de théâtre à célébrer d’urgence au Théâtre Antoine.
Correspondances : Gustave Flaubert, Victor Hugo Avec Jacques Weber Mise en scène de Christine Weber Représentations les 18, 19, 23, 25, 30 juin et 1er juillet à 20h et le 2 juillet à 19h. Théâtre Antoine Loc : 01 42 08 77 71 www.theatre-antoine.com