Jacques Weber et Tchekhov le « farceur »
Un texte savoureux que l’on redécouvre, un metteur en scène passionné et spécialiste de Tchekhov et un comédien qui se régale sur scène. Trois bonnes raisons de découvrir en ce moment sur la scène du Théâtre de l’Atelier, Crise de nerfs, en compagnie de Jacques Weber et de ses comédiens, dans une mise en scène de Peter Stein.
Peter Stein est un fin connaisseur de l’œuvre de Tchekhov (il lui a consacré en 2002 un essai, Mon Tchekhov). Il a également déjà travaillé avec Jacques Weber dans Le Prix Martin d’Eugène Labiche, La dernière Bande de Samuel Beckett et le Tartuffe de Molière.
Cette riche collaboration et complicité créée au fil des ans permet de mieux comprendre la liberté et le travail prodigieux que Jacques Weber déploie sur scène dans une joie quasi enfantine.
Le Chant du Cygne
Vieil acteur désabusé, Vassili Vassiliévitch Svetlovidov, dans les vapeurs de l’alcool, ne veut pas rentrer chez lui et reste sur la scène de ce théâtre vide qui l’a vu pourtant durant plusieurs décennies jouer tous les grands textes avec succès.
Dans ce postulat de départ, le jeu de Jacques Weber va étinceler. En véritable orfèvre, il incarne physiquement (dans un incroyable réalisme) ce « naufrage de la vieillesse », mâtiné d’humour, d’autodérision, de tragédie et de bonhommie crépitante.
Loin de son passé glorieux, ce personnage, accompagné de son vieux complice, le souffleur Nikita Ivanytch (qui l’aider à se tenir debout) s’interroge sur ses propres désillusions, ses anciennes amours… Mais très vite, le désespoir fait place au plaisir de rejouer pour lui-même (et pour notre plaisir aussi, bien sûr !) de célèbres tirades qui lui ont permis de vivre et de briller si longtemps : Boris Godounov, Othello, Le Roi Lear, Hamlet ! Rien que ça…
Les Méfaits du tabac
Nioukhine, la cinquantaine, doit faire une conférence à la demande de sa femme sur les méfaits du tabac dans un cercle de province. Il est peu question de tabac mais plutôt des lamentations d’un homme que sa femme tyrannise depuis trente-trois ans et qui profite de ce bref instant de liberté pour s’apitoyer sur son sort. Quand il la voit arriver dans les coulisses, il fait mine de finir la conférence et quitte la salle dignement.
Dans ce vertigineux monologue, Jacques Weber virevolte dans son personnage d’orateur maladroit mais galvanisé de prendre la parole, à l’insu de sa femme tyrannique. L’écriture farcesque de Tchékhov explore toute l’absurdité de la situation et rend particulièrement savoureuses les sautes d’humeur de son héros que Jacques Weber incarne avec délice et un sens du tempo formidable.
Une demande en mariage
Lomov vient demander une jeune fille en mariage, Natalia Stepanovna. Il est reçu par le père, Stepan Stepanovitch, qui marque son enthousiasme, et va chercher sa fille. La question de l’appartenance du pré aux vaches fait dégénérer cette demande en mariage.
Tchekhov part d’un postulat de départ des plus classiques : une demande en mariage en bonne et due forme. Et évidemment, il va savamment détricoter les codes : le fiancé est maladroit et neurasthénique (Loïc Mobihan est incroyable de drôlerie dans sa peur compulsive de la situation et sa colère progressive qui se réveille). La fiancée, un peu trop décontractée, est à des années-lumière de comprendre qu’on la demande en mariage (Manon Combes nous fait aussi rire à gorge déployée tant son accès de folie devient quasi pathologique) et Jacques Weber dans tout ça ? Il campe avec beaucoup de drôlerie un futur beau-père à la fois imposant et prêt pourtant à accueillir son gendre avec chaleur. L’obstacle ne vient donc pas de lui mais bien de la folie qui s’est emparée du jeune couple !
La mise en scène toute en subtilité de Peter Stein éclaire l’exubérante folie de ces personnages avec beaucoup de vérité, de sobriété et de malice à la fois, permettant à ses comédiens une totale liberté de jeu. Quand le « gourmet » Jacques Weber rencontre Tchekhov le « farceur », c’est un vrai régal pour le spectateur !
Crise de nerfs - 3 farces d'Anton P. Tchekhov Le chant du cygne Les méfaits du tabac Une demande en mariage Mise en scène : Peter Stein Avec Jacques Weber Manon Combes et Loïc Mobihan Crédits photos : Maria Letizia Piantoni Théâtre de l’Atelier À partir du mardi 22 septembre 2020 Relâches : Du jeudi 8 octobre au mardi 13 octobre inclus Du mardi 3 novembre au mardi 10 novembre inclus Du mardi au samedi : 21h Le dimanche : 17h Durée : 1h40