Dans la tempête des sentiments
Juste une embellie, la pièce à succès de David Hare, créée par Judi Dench et Maggie Smith en 2002 à Londres, se joue en ce moment au Lucernaire dans une mise en scène soignée de Christophe Lidon. Corinne Touzet et Raphaëline Goupilleau incarnent ces deux femmes qui n’auraient jamais dû se rencontrer.
Frances et Madeleine ont aimé le même homme. La première (Corinne Touzet) vient rendre visite à la seconde (Raphaëline Goupilleau), dans cette maison solitaire de l’Ile de Wight, perdue face à la mer.
Frances est romancière à succès, élégante, sûre d’elle-même et désireuse de rencontrer celle qui a longtemps été la maîtresse de son mari. Madeleine est une femme réservée, solitaire, et indécrottablement ironique.
Toutes deux ont été finalement délaissées par ce dernier. Ainsi, ont-elles à la fois de quoi se détester profondément et en même temps de quoi se rapprocher, par le dialogue et la compassion.
Mais la compassion ne vient pas tout de suite et les premiers échanges sont houleux. Chacune s’observe, se jauge, tente des coups de griffes, en quelque sorte. Mais peu à peu les masques tombent. La mère au foyer n’est pas si naïve et si plan plan que cela. Et la maîtresse guère maîtresse-femme, justement. En outre, toutes deux partagent un rapport bien précis avec les livres.
Enfin tourner la page
Christophe Lidon tire profit de ce duel variable et subtil. Il met en scène avec beaucoup de fluidité ces nombreux volte-face teintés de « coups bas », de désespoir mal contenu et de complicité aussi, voire de secrète admiration.
Avec le bruit de la radio anglaise en sourdine et le savant jeu de lumières, l’isolement de cette maison et de sa propriétaire, Lidon fait de cet intérieur anglais confortable et chaleureux, un lieu propice à l’introspection partagée.
Corinne Touzet compose une Frances aux multiples facettes. On a envie de la détester un peu au début avec cette apparence de femme pour qui tout réussit. Mais très vite l’armure s’effrite et Corinne Touzet sait nous transmettre toute la palette d’émotions intérieures qui traversent son personnage, en quête de faire enfin le deuil sur une relation qui a tant compté pour elle.
Raphaëline Goupilleau, bourrue et imprévisible à la fois ne tarde pas à gagner notre sympathie. L’humour mordant derrière lequel elle se réfugie est interprété avec beaucoup de justesse voire de malice.
L’affrontement qui ne devait pas avoir lieu se révèle un moment précieux, comme suspendu auquel le spectateur est le témoin privilégié. Et dans ce dénouement qui finit par le cueillir, l’embellie pas à pas, arrive, bien évidemment…
Juste une embellie De David Hare Mise en scène de Christophe Lidon Avec Corinne Touzet et Raphaëline Goupilleau Au Lucernaire : www.lucernaire.fr Du 25 août au 17 octobre Du mardi au samedi à 19h, dimanche à 16h Réservations : 01 45 44 57 34 - Crédits photo : D.R.