Michaël Hirsch, le gourmet des mots

« Créateur de parenthèses », comme il aime se définir, l’humoriste Michaël Hirsch, 33 ans, a tôt fait de déployer son goût pour l’écriture et la liberté de jeu sur scène à travers des spectacles-ovnis tels que Pourquoi ? (2016) et Je pionce donc je suis (2019). 2020, cette année zéro pour beaucoup de monde, lui a permis, bien au contraire, de consolider et de développer sa relation avec son public sur les réseaux sociaux, à travers l’exploration de nouveaux formats d’humour, de lecture et de poésie. Rencontre avec un artiste prolifique et passionné.

Est-ce qu’il y a des artistes dans ta famille ?

Des artistes du quotidien, non, il n’y en a pas. Je suis une génération spontanée !

Comment s’est alors passé ce déclic pour la scène ?

Ça remonte à assez loin, en fait. Plus jeune, j’ai fait du théâtre d’impro où le format le plus usité est celui de l’humour. Ce sont donc mes premières émotions sur scène. Je n’étais pas du tout attiré par la littérature ou le théâtre classique. Mais bien par l’humour !

En arrivant en école de commerce, on m’a convaincu de me mettre au théâtre de troupe, plus classique et j’ai pris énormément de plaisir à ça. C’est pendant mes études que j’ai réalisé que le monde de l’entreprise ne serait pas celui où je m’épanouirai le plus. La période aussi où dès que je me suis tourné vers des stages, le théâtre me manquait tellement, que j’ai commencé à écrire.

Et je suis tombé sur un directeur d’école de commerce absolument génial qui avait découvert des textes que j’avais écrits et qui m’a proposé d’ouvrir le grand amphithéâtre de l’école pour mon premier spectacle. C’est comme ça que ça a démarré. Et dans la foulée, une fois diplômé, j’ai commencé des études d’art dramatique.

Tu as suivi des cours chez Jean-Laurent Cochet. Que retiens-tu de son enseignement ?

Il m’a appris énormément de choses. C’est vraiment un maître immense du théâtre. J’entends par « maître » le fait de connaître merveilleusement le répertoire théâtral et d’avoir en plus une vision pour les gens qu’il a en face de lui, pour les élèves.

Et pour ça, je lui en suis très reconnaissant parce que ça m’a apporté ce bagage technique. Mais après, il y a la phase de « désapprentissage » qui est aussi très importante parce que Jean-Laurent Cochet a une vision tellement rigoureuse du théâtre que souvent la rigueur prévaut sur le plaisir. Or, c’est très important pour moi de trouver le plaisir du jeu sur scène, la liberté dans mon travail. 

Peux-tu nous raconter l’histoire de Pourquoi ?, dans ses nombreux rebondissements ?

Pourquoi ? est un spectacle qui m’accompagne, que j’ai vu grandir (et je crois que le spectacle lui-même m’a vu grandir !). Je pressentais déjà que dans l’humour, un premier spectacle en général peut durer longtemps, entre 5 et 10 ans. Ce spectacle est né pour la première fois en mai 2011, en école de commerce (on va fêter cette année les 10 ans de sa toute première création !). Et c’est amusant parce que l’autre jour, je fouillais dans mes disques durs externes à la recherche de choses diverses et variées (les joies du confinement !) et je suis retombé sur la vidéo de la toute première version de Pourquoi ? C’est incroyable à quel point ça a changé, à quel point j’ai changé !

Le fait qu’Ivan Calbérac vienne voir le spectacle et me propose de collaborer dessus nous a permis de faire une première nouvelle version. Je ne saurai même plus dire combien il y a eu de versions !

Il y a eu celle quand j’étais en école de commerce, celle quand j’ai repris le spectacle une fois que j’étais, disons, professionnel. Il y a une 3ème version avec Ivan, la première troisième version qu’on a écrite avec Ivan. Et il y a eu une 4ème version qui était celle jouée au Studio des Champs-Elysées où on a rajouté encore des choses. Et il y a toute la partie des nouvelles versions qui se crée en direct avec les spectateurs.

C’est incroyable la mécanique de création dans ces moments-là !

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« C’est très important pour moi de trouver le plaisir du jeu sur scène, la liberté dans mon travail. »  

Que ressens-tu justement dans ce processus précis de « recréation » ?

Je retrouve-là mon plaisir de l’improvisation où il y a quelque chose de profondément magique : on est galvanisé d’adrénaline, de plaisir, de peur ; et de là, jaillissent des idées, des saillies. C’est comme si les idées fonctionnaient différemment dans le cerveau. Tout ceci a fait la version de Pourquoi ? de 2020, qui n’est même pas la fin. Qui ne sera jamais la fin !

Je suis sûr que si dans 10 ans, je reprends Pourquoi ?, j’y trouverai encore des nouvelles choses à faire, à créer, à imaginer sur cette trajectoire de personnage…

Peux-tu nous parler de ta collaboration avec Ivan Calbérac. On a l’impression qu’il ne te quitte plus…

Ivan est venu voir Pourquoi ? aux Déchargeurs en 2014 et il a eu des mots à mon égard, après le spectacle qui étaient, en fait, ce que j’avais besoin et dans un sens aussi, que je rêvais d’entendre. Et il a très vite compris comment ça pouvait s’organiser. J’ai ainsi sacrément bénéficié de son savoir-faire de scénariste, d’auteur et de son savoir-être pour laisser la place à la création et à la collaboration. Sur le plateau, ça s’est fait très naturellement dans la même énergie que l’écriture et ça a été très riche d’enseignement pour moi. J’ai beaucoup appris grâce à Ivan. Et sur la suite du travail, sur Je pionce, il a été aussi le co-auteur du spectacle.

Sur Je pionce donc je suis, combien de temps cela t’a pris pour concrétiser ce projet ?

Pour Je pionce, c’est une année de travail complète.

En juin 2018, je termine Pourquoi ? au Studio des Champs-Elysées, période hyper dense où je jouais cinq mois à Paris, cinq fois par semaine. Je termine cette période et je sens en moi un truc où j’ai besoin de créer autre chose pour me faire du bien, pour me nourrir, etc. Et j’avais besoin de sommeil !

Le sommeil est un sujet qui me passionne depuis que je suis tout petit. J’adore dormir, je sais que c’est quelque chose de très important pour moi et que les moments où je dors moins, ce sont des moments où je suis moins heureux. Je suis clairement moins bien !

Je me suis questionné sur la notion de repos : quelle place prend le temps du repos en général et le temps pour soi aussi ? Et quelle place accorde-t’on à notre travail ? C’est une question qui est au cœur de nos vies et surtout en ce moment avec le télétravail qui bouleverse notre façon de vivre et de travailler. Donc en juin 2018, j’ai l’idée. En juillet, je vais à Avignon où je viens me nourrir de spectacles pour me donner des idées.

Après Pourquoi ? qui était une fantaisie merveilleuse, j’avais envie de ramener du savoir sur scène.

« En 2020, je me suis plus écouté. » 

JE_PIONCE_Web-AAA_5137Comment s’est passée justement cette phase de recherches sur le sommeil ?

Après ces deux mois de « nourriture », il y a eu quatre mois de documentation où j’ai emmagasiné une quantité de savoir sur toutes ses formes… J’ai un nombre incroyable de cahiers remplis de notes et 1,20 m de bibliothèque remplie de livres sur le sujet ! Et après, il y a eu la question de « qu’est-ce qu’on fait de tout ça ? ». Un exemple tout bête, j’ai découvert comment fonctionnaient les rêves dans la mémoire.

Quand on se réveille le matin, on a 90% de mémoire de nos rêves. Et déjà 5 minutes après on en perd 50% et une demi-heure plus tard, on en a perdu 90% !

Il y a une sorte d’évanouissement du rêve et ça m’a tout de suite fait penser aux stickers phosphorescents qu’on colle sur les chambres d’enfant, les étoiles. Tu les allumes et ça emmagasine un peu de la lumière qui se dissipe assez vite. Et je me suis dit que j’aimerai bien avoir ça sur scène sans forcément dire que c’est du rêve.

Et après, il s’agissait de créer l’histoire. Je voyais à peu près où on allait : un seul en scène avec beaucoup de personnages, beaucoup de lieux, quelque chose d’assez épuré dans la forme visuelle, dans la mise en scène, dans le travail du corps du comédien et j’imaginais un conte et ça a donné cette forme d’ovni.

Quand les théâtres vont rouvrir, tu as déjà des dates de tournées ?

Oui notamment avec Je pionce et ensuite avec Pourquoi ?, un peu partout en France. Et normalement Avignon, cet été !

Durant le confinement, tu as aussi expérimenté le seul en scène sur les réseaux sociaux, en quelque sorte… 

C’est surtout du « seul sans scène » ! (Rires).

Ce qui est très intéressant, c’est la relation que tu as continué de développer avec ton public…

En 2020, c’est marrant, j’ai eu une sorte de révélation avec ce confinement et mon rapport aux réseaux sociaux. Je me suis plus écouté dans ce que j’avais envie de faire et c’était le moment où jamais. Pendant le premier mois du premier confinement, je n’ai rien fait. Je n’avais pas envie d’écrire, de jouer.

Au bout d’un mois, j’ai vu Didier Raoult à la télé et j’ai réalisé qu’il fallait que j’en fasse quelque chose. Avec le « Convid20 », j’ai écrit le texte et je me suis rendu compte que ça me faisait bien marrer de le faire et que j’avais besoin de le sortir.

J’ai publié cette vidéo qui a été un énorme carton (la première fois que je faisais 1 million de vues et là on en est à 3 millions, c’est complètement dingue !). Et j’ai continué à me faire marrer en faisant toute une série de sketches.

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« J’ai été ravi de rencontrer une communauté autour de valeurs qui me faisaient du bien. »

 

A la même époque, tu as aussi initié une série de lecture en live.

 Oui. Avec mes copains, on se disait que c’était vraiment dur de lire en ce moment. Et je me suis dit : ok et si moi, je faisais de la lecture ? Idée folle, tiens je vais partager un livre que j’adore avec eux, le Magellan de Stephan Zweig, un livre qui fait du bien !

Je lance ce truc de la lecture que j’intitule « Prenons un peu d’auteur », un chapitre par jour en live. Et petit à petit, il y a eu de plus en plus de gens qui m’ont rejoint.

J’ai fait ça pendant 70 jours d’affilée, sans pause. J’étais crevé mais ravi d’avoir lu plein de choses, rencontré une communauté autour de valeurs qui me faisaient du bien. Et j’aime bien aussi cette idée de créer des parenthèses.

Tu as repris cette formule de lecture en live durant l’automne…

Oui et durant l’été, j’ai imaginé comment développer un peu plus encore le concept. En fait, j’ai toujours un peu fonctionné comme ça ! Cette première série de lecture en live du printemps, c’était ma version béta et j’ai investigué sur la plateforme Twitch pour développer ce concept.

Comment es-tu devenu « twitcheur » ?

Twitch est un terrain de jeu incroyable dans son rapport aux gens. Ça ramène du lien à travers les écrans. C’est essentiellement une plateforme de jeux vidéo mais après il s’y développe aussi des tonnes de choses (du bricolage, de la musique, du dessin en live…).

Mais en ce qui concerne le théâtre, et qui plus est la lecture, il n’y avait quasiment rien.

Donc j’ai imaginé à nouveau le projet, contacté des gens (notamment Fabien Olicard, un ami qui m’a aidé sur le projet), et j’ai lancé ça début octobre.

Et durant ce deuxième confinement, tu t’es lancé aussi un autre défi !

Oui, car j’avais envie en même temps de continuer à faire rire. Dans ce sens, j’ai créé ce format de cadre bleu que j’avais imaginé pour Je pionce et j’ai commencé à écrire un truc qui a bien marché. Et ainsi de suite. J’ai senti qu’il y avait un truc qui se passait. Et là, je ne sais pas où on en est dans les comptes mais je publie une fois par jour ce type de contenu.

D’ailleurs, c’est assez fou de vivre un buzz de son téléphone !

Je pense notamment à celui sur le jeu de mots autour des gestes barrières autour de la situation de la culture où je compare les acteurs de la culture à des sapins : on est abattus, on sert de décoration et on a les boules.

« J’ai touché un autre public et surtout, je l’ai mélangé. »

_33A3443Comment as-tu vécu ce buzz ?

Jean Castex venait d’annoncer que la réouverture des théâtres n’était pas pour tout de suite. La nuit-même, je me suis réveillé à 3h du mat, sentant en moi comme du désespoir, avec de la colère et de la révolte. J’ai essayé d’écrire quelque en tentant d’évacuer ce que je ressentais et de le transformer en quelque chose qui soit à la fois drôle, touchant et pertinent.

Je l’ai partagé à 8h du matin et quand j’ai rallumé mon téléphone à 9h30, il y avait déjà 200 partages ! Et je me suis dit : « ah, il se pourrait qu’il se passe quelque chose ! » (Rires).

C’est assez amusant parce que j’ai été relayé par énormément de monde de la culture et notamment des artistes pour lesquels j’ai vachement de respect et d’admiration comme Gérard Collard de La Griffe noire ou Joey Starr. Et là, je me dis : waouh, grand écart ! Je me rends compte que c’est aussi ça que j’ai développé ces derniers mois. J’aime ce grand écart.

C’est-à-dire ?

Sur Twitch, j’ai touché un autre public et surtout je l’ai mélangé. Et je crois que cela va être au cœur de mes prochaines créations : accepter nos contradictions et notre diversité intérieure. On a tendance à considérer les gens comme des ukulélés alors qu’on est des harpes !

Autour principalement du jeu et de l’écriture tu as su développer, en cette année 2020, ta créativité à travers différents formats…

Je crois qu’il y a quelque chose dans l’écriture, et tu dis vrai. Mais surtout dans le mot. Dans mes descriptions de profil sur les réseaux j’ai résumé ça par « Des mots, encore des mots, toujours des mots » parce que c’est vrai que c’est ce qui est aujourd’hui, un peu pour moi, le cœur du réacteur.

Mais là par exemple, j’ai très envie de me mettre au graphisme. J’ai commencé à faire des œuvres soit sur Illustrator ou de l’illustration pure avec des trucs hyper géométriques. Ça doit être mon côté un peu allemand, j’aime bien les lignes droites ! Et en même temps, des petits dessins où je suis en train d’apprendre un tout petit peu à dessiner.

Je commence à ressentir le besoin d’étoffer ma création. Je me suis acheté une guitare dont je ne me sers pas encore mais ça va dans le sens de la libération. Et ça fait la boucle aussi sur ce qu’on disait sur Jean-Laurent Cochet. C’est un cadre qui est super parce que je sais que je peux y revenir tout le temps car il est là.

J’ai déménagé, il n’y a pas très longtemps et j’ai mis dans mes cartons tous les cours et toutes les notes que j’avais prises pendant mes deux ans et demi chez Cochet. Avec les lectures, il y a un défi en cours où je vais peut-être lire Britannicus dans son intégralité.

J’ai tous mes cours de Cochet sur Britannicus et je vais les reprendre parce qu’en fait, évidemment son savoir sur l’œuvre m’intéresse énormément mais j’ai le cadre et maintenant il s’agit de déborder, de partout.

En fait, 2020, ça a été un peu l’année du grand débordement !

Extrait vidéo de l’entretien n°1 : Le déclic

Extrait vidéo de l’entretien n°2 : Je pionce (donc je suis)

Extrait vidéo de l’entretien n°3 : Les réseaux sociaux

Entretien réalisé en décembre 2020. 

Un grand merci à Michaël Hirsch pour sa générosité (et sa patience !). 

Photos portraits de Juliette Leignel et photos de scènes de Svend Andersen

 

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