Les Parents terribles ou Cocteau ressuscité
Avec sa mise en scène audacieuse et résolument fidèle à l’esprit sulfureux de la pièce, Christophe Perton signe ici le grand retour de Jean Cocteau sur la scène parisienne. Ses comédiens jouent avec une grande subtilité l’explosion en plein vol de cette famille « infernale » où règne le désordre absolu, au sens moral, comme au sens figuré.
A celui qui décide de frapper à la porte du célèbre Poète (dont on va, au passage, fêter cette année les soixante ans de sa disparition), ce dernier la lui ouvre immédiatement et toujours de façon poétique, bien entendu.
C’est ce qui est arrivé au metteur en scène Christophe Perton quand il se retrouve soudainement détenteur du manuscrit originel des Parents terribles, à l’occasion d’une vente aux enchères à Drouot. Depuis sa création en 1938, la version jouée sur scène puis imprimée, avait été censurée volontiers par les exploitants de l’époque, en dépit du succès retentissant qui suivit.
Le manuscrit perdu et retrouvé en main, le metteur en scène peut alors donner libre court à sa propre soif de « poésie de théâtre » (expression chère au poète) pour ressusciter un Cocteau sans filtres, plus passionnant que jamais à (ré)entendre aujourd’hui.
L’art du cocktail tragico-comique
Mais qu’en est-il de l’histoire ? Dans un grand appartement parisien, Yvonne (Murielle Mayette-Holtz m’a ici surprise puis conquise dans ce rôle) ne peut se résoudre à voir son fils Michel partir (Emile Berling, qui incarne à merveille la tension sexuelle de son rôle). Elle et son mari Georges (Charles Berling, au service d’un jeu comico-tragique millimétré) vivent aux crochets de Léo, la sœur d’Yvonne (Maria de Medeiros, étourdissante). Quand Michel découche puis se confie à sa mère (qu’il surnomme depuis toujours par son prénom) : l’on ne tarde pas à découvrir que celle qu’il souhaite ardemment épouser, Madeleine (Lola Creton, belle découverte !) n’est autre que la maîtresse de Georges.
L’histoire aurait pu sombrer dans une réjouissante comédie boulevardière ou une tragédie grecque édifiante. Cocteau a choisi d’en composer un savant cocktail. Il en résulte de constantes étincelles pour le grand bonheur du public. Et dans ces conditions, la mise en scène et l’interprétation qui en résulte est un vrai tour de force.
Dans ce grand appartement parisien que l’on qualifierait aujourd’hui volontiers de « bobo », cet « esprit de roulotte » est caractérisé sur scène par un immense lit double, encadré par des placards et au fond, un panneau coulissant qui donne sur la salle de bains.
Une féminité sulfureuse qui fascine
D’entrée de jeu, la pièce nous fait pénétrer dans l’intimité d’Yvonne, dans sa figure maternelle, comme dans sa féminité (et l’on va voir ici comment ces deux identités sont quasi intrinsèques). Yvonne vit dans la pénombre, insulino-dépendante, elle règne sur son petit monde, jouant tour à tour les rôles de bourreau puis de victime. Son mari, scientifique raté, n’est guère présent (on comprendra très vite pourquoi). Sa sœur Léo, restée vieille fille, se plie constamment à ses ordres (on comprendra aussi pourquoi !).
Dans une chorégraphie qui aurait sans doute séduit Cocteau lui-même, on assiste au deuxième acte au changement de décor, celui de l’ordre incarné par la sobriété centrale d’un canapé, que le désordre des vêtements de Michel ici déposés, semble déjà envahir. C’est dans ce lieu que la tragédie va éclore. Nouvelle prouesse scénographique et retour pour le troisième acte au décor initial, plus étouffant que jamais. Il faut ajouter que la musique, les effets spéciaux et les lumières ont ici leur importance et ce jusqu’à la dernière minute.
Un Cocteau – phoenix, qui renaît de ses cendres
La subtilité du jeu des comédiens permet de faire transparaître toute la richesse externe et interne du texte. On rappelle que celui-ci a été joué en France mais aussi à l’Etranger avec le même succès. Si le rôle de Michel a été créé par et pour Jean Marais, d’autres acteurs sur scène l’ont aussi incarné comme Jude Law sur la scène britannique.
De pièce en pièce, chez Cocteau se rejoue le drame qu’il a vécu enfant, à savoir l’explosion de sa propre cellule familiale, à la découverte, à l’âge de neuf ans du suicide de son père. Toutes les femmes de ses pièces, au charisme et à la séduction indéniables ont avec leur fils ou leurs amants cette relation faite d’amour fusionnel et d’ironie mordante que Cocteau a lui-même ressenti de la part de sa propre mère.
Mais Cocteau, c’est aussi la réplique qui claque, le drame qui se tapit, la poésie toujours à la boutonnière. « Je suis le poète le plus inconnu et le plus célèbre à la fois. », déclarait Cocteau à propos de lui-même. Faisons-le ici, pour une fois, démentir.
Ces Parents terribles, en lui rendant ici ce bien bel hommage sur la scène du Théâtre Hébertot, nous le rendent plus touchant et accessible que jamais.
Les Parents terribles De Jean Cocteau Adaptation, décor et mise en scène de Christophe Perton Avec Muriel Mayette-Holtz, Charles Berling, Maria de Medeiros, Emile Berling et Lola Creton Théâtre Hébertot Du mercredi au samedi à 20h30, samedi 15h et dimanche 15h30 Réservation au guichet du théâtre ou par téléphone au 01 42 87 23 23 ou sur www.theatrehebertot.com