Rencontre avec Daniel Auteuil et sa troupe
Dans le Foyer du Théâtre de Paris, si vous vous étiez attardés à la sortie du Malade Imaginaire, vous auriez peut-être croisé, vendredi soir dernier, peu avant minuit une étrange confrérie, se réunissant autour d’une coupe de champagne. Celle formée par des blogueurs de théâtre passionnés osant braver Daniel Auteuil et sa troupe. Un échange évidemment riche et pas du tout dangereux, loin de là…
Pourquoi cette pièce-là ?
Daniel Auteuil : C’est une pièce que j’avais envie de jouer depuis longtemps. Ce qui me plaisait, c’était la liberté de ton employée par Molière. C’est sa dernière pièce, écrite un peu dans l’urgence et dedans il y met la somme de toutes les pièces qu’il a pu écrire déjà. C’est à la fois une tragédie, une comédie, c’est philosophique. Il dit des tas de choses. Il y a absolument tous les genres. Comme un artiste peintre qui, à la fin de sa vie, d’un trait, raconte plein de choses. Je trouve cette pièce très riche avec plein de très beaux rôles.
Et mon obsession, c’est de faire entendre cette pièce toujours comme si elle avait été écrite la veille.
Et montrer à quel point (même si tout le monde le sait déjà) que Molière est un génie ! Mais c’est bien de le dire, de le rappeler.
Ce qui est formidable ici c’est qu’on a beaucoup de jeunes gens et d’enfants qui viennent. Et on se dit que malgré tout, peut-être, c’est la première fois qu’ils viennent au théâtre. Et comme on est une bande pas trop naze, ils auront envie d’y retourner.
Alors que pour moi, quand on était petit, c’était très chiant. (A Alain Doutey, en haussant la voix) : Tu te rappelles, hein ? (Rires).
Comment se sont passées alors les répétitions ?
Jean-Marie Galey : En fait, pendant les répétitions, Daniel nous a fait travailler nos personnages. Il n’a quasiment pas joué, il nous regardait. Mais il travaillait énormément et de façon extrêmement précise avec nous, en nous indiquant tout par le détail et en nous reprenant sans arrêt, en nous gourmandant parfois. Il s’est en fait imprégné du personnage. Il ne connaissait quasiment pas le texte, pas longtemps avant qu’on le joue parce qu’il préférait absorber ce qui se passait autour de lui plutôt que d’avoir à le jouer. Et il a eu raison, il était malin !…
Daniel Auteuil : J’ai fait ça de façon empirique…
Aurore Auteuil : C’était très rigoureux. On a énormément travaillé. On a commencé à répéter à partir du 25 novembre et ce durant deux mois avec dix jours de repos au mois de décembre pendant les fêtes. Mais on travaillait beaucoup, de 10h à 19h, sans pause (rires)…
Daniel Auteuil : Vous êtes arrivés « texte su » !
Jean-Marie Galey : Et c’est bien de s’arrêter dix jours parce que ça infuse !
Daniel Auteuil : Alors c’était marrant parce qu’au début, dans la salle de répétitions, on ne se connaissait pas bien… Ils faisaient semblant d’être impressionnés… Maintenant, ils me marchent sur la gueule. (Rires)
C’est l’une de mes aventures préférées au théâtre, c’est-à-dire que je suis content que tout le monde trouve les acteurs de ce spectacle formidables, qu’il y ait une unité, que les spectateurs aient le sentiment de voir une troupe et pas deux, trois acteurs qui passent leur numéro.
Aurore Auteuil : Et en plus, on était convoqué tout le temps ensemble. Ce qui était génial, c’était de se retrouver tous ensemble même avec ceux qui n’étaient pas dans les scènes. Et c’est vrai qu’on est une bande d’amis à présent !
Daniel Auteuil : Une bande de jeunes !
On sent une grande liberté chez vous, Daniel Auteuil, qui semble rejaillir sur les autres…
Merci, je suis touché. Mais il faut dire qu’on a ici un support formidable. On a un génie qui a écrit. C’est comme si on était musicien et qu’on jouait Mozart. On a travaillé et on a une forme de liberté, dans un espace très réduit, mais ça suffit.
C’est un spectacle, on ne peut plus classique et qui donne pourtant l’impression d’avoir été écrit hier. Et vous tous ici, apportez tant… !
Il y a aussi une note joyeuse tout au long de la pièce et l’on ressent une grande complicité…
Alain Doutey : Dans la base de travail et c’est ce qui est intéressant ici, après chaque représentation, tous les jours, il y a un débriefing de la pièce. Ce qui est très rare, avec un metteur en scène. C’est un débriefing qui dure ce qu’il doit durer, il nous communique ses impressions…
Daniel Auteuil : Très souvent au théâtre, je voyais arriver les metteurs en scène à la fin du spectacle avec une sorte de canevas de remarques qui ne servait à rien… (Rires)
Natalia Dontcheva : Je crois que la meilleure remarque tu nous aies faite, c’était hier soir. Il est sorti du plateau et il nous a dit : « Vous savez ce que vous avez fait ! » (Rires)
C’est un truc qui ne te permet pas de passer une nuit tranquille ! J’ai merdé quelque part mais alors où ?!… Et ce qui est formidable, c’est qu’il n’a pas développé !
Daniel Auteuil : Parfois, je développe ! (Rires)
Natalia Dontcheva : Quand on le voit dans son personnage de tyran sur scène, il y a quelque chose qui reste de ça ensuite en coulisses… Heureusement qu’il y a les trottinettes électriques pour prendre l’air en sortant et recommencer le lendemain. (Rires)
Mais c’est un bonheur ! C’est rare aujourd’hui des spectacles avec autant de monde et là où il a réussi son coup c’est qu’il a vraiment créé une troupe. Et on aimerait que tout ça ne s’arrête jamais parce que c’est tellement génial. Le théâtre est formidable pour ça parce que si on se plante un soir, le lendemain on peut faire cent fois mieux ! C’est enregistré nulle part !
Dans la mémoire des spectateurs, peut-être un peu quand même…
Natalia Dontcheva : Bien sûr, mais vous savez parfois il arrive des accidents sur le plateau. Nous, on est consternés. On est malades ! On se dit : « Putain, j’ai raté ça… Et les gens te regardent en te disant : « Mais c’était fabuleux ! » Enfin, on a merdé !
En fait, on est bons quand on reste sincères. Daniel nous a toujours dit : « Vous pouvez faire ce que vous voulez mais restez sincères ! Il a vraiment cherché cette sincérité dès le début des répétitions.
Daniel Auteuil : La vérité, on s’en fout au théâtre, ce qui compte c’est la sincérité ! Il n’y a pas de vérité !
Est-ce que votre jeu peut varier certains soirs ?
Natalia Dontcheva : Ah oui ! J’ai des amis qui sont venus au tout début des représentations et sont revenus récemment, ils ont vu une évolution du spectacle, en nous disant : « Mais c’est de la folie ! » On a gagné en fluidité. Mais c’est juste qu’on a appris à s’écouter ! Et par exemple, quand Daniel commence le spectacle au taquet (rires), derrière on ne peut pas jouer comme hier où il avait commencé le spectacle dans une forme d’intimité. Donc on est tous à l’écoute de ce se passe avant de rentrer sur le plateau.
Daniel Auteuil : ça c’est un truc qui est venu après, un truc qu’on a appris. Au départ, ce n’était pas comme ça.
Au-delà de l’aspect éducatif, c’est une aventure, une pièce de théâtre ou un film ! Avec des mois de répétitions, des mois passés ensemble, etc.
Et au-delà du résultat, je trouve que c’est important qu’on y apprenne aussi des choses de la vie et que ça ne soit pas que du travail. C’est comme ça que quand je fais un film ou une pièce si j’ai encore appris quelque chose, quel que soit le succès du film ou de la pièce, je n’ai pas perdu mon temps. Et on n’a pas de temps à perdre ! Personne. Même quand on est jeune, on n’a pas de temps à perdre. Si l’on peut gagner cinq minutes, c’est toujours bon à prendre.
Qu’apprenez-vous justement sur cette pièce ?
Daniel Auteuil : J’apprends beaucoup d’eux, justement. Je suis très touché par leur enthousiasme, leur implication et je sens bien qu’il ne faut pas que je raconte n’importe quoi par ce qu’ils me croient. (Rires)
On voulait savoir aussi ce que la jeune troupe apprenait des plus expérimentés ?
Aurore Auteuil : Leur liberté ! Ils ont une liberté que l’on n’a pas et je pense que c’est quelque chose de générationnel. Après, j’apprends tous les jours en les regardant jouer. Je suis très spectatrice de ça. Ils ont toute leur carrière derrière eux…
Daniel Auteuil : Ben, dis donc ! (Rires)
Jean-Marie Galey : On en apprend autant d’eux et de toute façon, on reste des enfants quand on est sur un plateau. L’expérience ne nous apporte pas grand-chose.
Victoire Bélézy : Si, quand même. Ça vous apporte de la confiance ! Vous êtes plus rassurés sur certaines choses !
Jean-Marie Galey : Pas du tout ! Au contraire, plus on a de l’expérience, plus les choses sont complexes pour nous et plus c’est compliqué à gérer !… C’est exactement le contraire !
Victoire Bélézy : Oui mais tu vois, quand on fait des retours en coulisses, il y a des choses que vous savez parce que vous avez l’expérience du plateau.
Jean-Marie Galey : On a l’oreille tendue mais en tant qu’individu comédien, on reste tout aussi fragile que vous et même peut-être plus encore…
Daniel Auteuil : On se ramollit !
Victoire Bélézy : Ce que j’apprécie vraiment c’est qu’il y a un partage très fort entre toutes les générations et j’aime bien justement ce mélange de générations. Ça nous enrichit : on vient tous d’univers et de milieux très différents. Daniel a vraiment choisi des personnes dans ce qu’elles ont d’humain. Il a créé une équipe soudée et qui a envie pendant 110 dates d’aller au plateau. On a juste envie de se retrouver le soir et de déconner. Et c’est énorme ! Ce n’est pas dans tous les métiers qu’on peut avoir ce privilège et cette chance. Quand sait qu’on fait quelque chose d’éphémère, qu’on ne sait pas si on se retrouvera, c’est magnifique ! C’est la magie du théâtre. Ce sont des choses précieuses et fortes qui restent.
Jean-Marie Galey : C’est magnifique de voir sur le plateau ces trois générations de femmes. Quand la petite Louison chante au début a capella, nous derrière le rideau, on se tient la main, en cercle et on voit ce qu’elle fait. C’est fondamental pour nous, ça nous donne l’ombre d’or du spectacle.
Daniel Auteuil : Et j’en apprends de belle !… (Rires)
Il y a autre chose aussi avec Molière c’est qu’il est à vous, il est à nous, c’est notre patrimoine. Et j’ai le sentiment que c’est un spectacle qui fait du bien aux gens. Il y a les humoristes, les émissions de TV, et toutes les conneries qu’on entend et tout d’un coup, on entend une belle langue, portée par des gens rigoureux, généreux et justement le public ressent qu’il y a un vrai don. Et nous, à partir du moment où on vous a donné ça, à la fin, ça nous est rendu et on sort bien de ce spectacle. Effectivement, il y a un échange mais un échange qui nous grandit tous. Et ça, je l’assume totalement !
Est-ce qu’il y a eu des gros accidents sur scène depuis cette 54ème représentation ?
Daniel Auteuil, s’adressant à Pierre-Yves Bon (qui joue Cléante) : J’en ai eu un gros ! Il a oublié la partition et il était comme ça, sans le papier et je lisais toute la peine dans son visage. Il se disait « Putain, si je pouvais disparaître… »
Natalia Dontcheva : On est quand même très consciencieux et je trouve ça hallucinant. Je vois les comédiens depuis l’incident avec leurs affaires, leurs accessoires. Chacun triple-checke tous ses accessoires avant de rentrer sur le plateau. (Rires)
On a eu des crises de fous rires aussi sur scène. Des énormes. Je suis incapable de résister à Daniel Auteuil qui m’en fait voir de toutes les couleurs. J’essaie de me retenir mais un jour, je n’ai pas pu finir mon texte, je suis juste sortie du plateau, je n’en pouvais plus…
A la jeune Judith Berthelot qui joue Louison en alternance : comment vis-tu cette formidable aventure ?
Judith Berthelot : Pour moi, cette aventure est inoubliable. Jouer avec des comédiens comme eux, ça n’arrive pas tous les jours ! J’ai une chance inouïe et je m’en rends compte. Je suis très contente et je serai très déçue quand la pièce se terminera.
Daniel Auteuil : Elle a une conscience d’actrice. Elle est actrice. Elle a la grâce. La première fois à l’audition, on ne lui avait pas dit qu’il y avait une chanson à chanter. Et elle a cru que c’était fini pour elle et ça l’a rendu très triste. Et je me suis dit : cette petite fille, il faut absolument la revoir parce qu’elle a tellement de sensibilité.
Aurore Auteuil : Tu t’amuses bien sur scène, avec elle, je le vois !
Daniel Auteuil : Je peux inventer, elle me suit, on improvise. Comme si c’était une grande personne. Elle est faite pour ça ! Ce qu’elle ne sait pas c’est si elle sera chanteuse ou actrice mais on peut faire les deux ! Et c’est vrai qu’on s’amuse. Ce soir, je t’ai fait plein de farces. Je le vois bien dans ces cas-là dans ses yeux : « Oh, la, la, qu’est-ce qu’il me fait ? » Et hop, elle répond. Et se fait applaudir !
(A Judith Bertelot ) Quel âge as-tu et comment as-tu commencé ?
J’ai dix ans. Je suis la maitrise de Paris et c’est ma première année. On m’a appris qu’il y avait une audition et j’ai été sélectionnée.
Qu’est-ce que cela t’a fait de démarrer comme ça la pièce la première fois, seule sur la scène ?
Judith Berthelot : Cela m’a fait quelque chose ! (Rires)
Daniel Auteuil : Je les envoie ces gamines jouer seules, en me disant qu’elles ne réalisent pas, qu’elles sont petites. Et chacune en sont vraiment conscientes. Parce que la note, c’est a capella donc elles vont choper la note cinq minutes avant. Et je ne leur parle plus à ce moment-là parce qu’elles se concentrent sur la note « Mmmh ! ».
Elle a une telle oreille de musicienne qu’elle me demande : « C’est vous qui faites bouger les pièces de monnaie ? Et c’est vrai : elle est sur la scène, le rideau est fermé et effectivement j’ai mes pièces et je ne sais jamais tous les soirs si j’attaque la pièce avec les pièces dans la poche ou dans la main ? Et tous les soirs, je cherche comment je vais attaquer la scène et effectivement, ça fait du bruit et ça la gêne ! (Rires)
Un grand merci à Daniel et Auteuil et sa formidable troupe ainsi qu’au Théâtre de Paris (Luna Benhamou et Clarisse Gourmelon) à l’origine de cette précieuse rencontre.
Le Malade Imaginaire Mise en scène de Daniel Auteuil Avec Daniel Auteuil, Aurore Auteuil, Alain Doutey, Victoire Bélézy, Pierre-Yves Bon, Natalia Dontcheva, Jean-Marie Galey, Gaël Cottat, Loïc Legendre, Cédric Zimmerlin, Laurent Bozzi Théâtre de Paris Du mercredi au samedi à 20h30, le samedi à 17h et le dimanche à 15h30. Réservation : 01 48 74 25 37