Rencontre avec François Ozon et Romain Duris
Une nouvelle amie fait partie de ces films très attendus pour de nombreuses raisons : son auteur François Ozon ne cesse chaque année de nous surprendre, son interprète principal Romain Duris n’hésite pas à explorer ici de nouvelles sensations d’acteur, oups, je voulais dire d’actrice ! Il est en effet question de travestissement mais pas seulement. C’est justement de cela que François Ozon et Romain Duris sont venus débattre, dans cette petite salle de projection privée parisienne, la semaine dernière…
Tout d’abord, je tiens à préciser ici que le film m’a particulièrement plu. J’avais trouvé que la bande-annonce révélait le concept du film de façon trop brutale et je pensais ainsi que le film risquait de traiter le sujet du travestissement avec peu de finesse, que ce personnage d’homme travesti en femme se révèlerait grotesque. Bref, comme tout un chacun, j’avais mes petits préjugés…
Le film dans tout son déploiement psychologique propose toute autre chose. Il est en effet question d’abord d’une écriture psychologique particulièrement nuancée : il y a le point de vue de ce personnage de Virginia (que David, le personnage incarné par Romain Duris crée ici pour s’émanciper en même temps socialement que personnellement) mais aussi celui de Claire (Anaïs Demoustier également bluffante) qui par ses nombreux rebondissements émotionnels parvient à nous mettre constamment en empathie avec ces deux personnages principaux en quête d’amitié, de réconfort, et peut-être d’un peu plus…
Le point de départ de cette histoire, c’est le décès de Laura (Isild Le Besco), la femme de David et la meilleure amie de Claire. Le film s’ouvre à la façon d’un conte de fées. Très stylisé. Les décors très américains (une partie du film a été tournée au Canada), l’architecture, la saison automnale, tous ces détails, bien sûr, comptent pour l’atmosphère générale du film qui joue constamment les notes du suspense et de l’émotion. Piano, piano… « Il fallait aussi créer ici une distance par rapport au film », ajoute François Ozon.
« Un film qui traite avant tout de l’émancipation »
Impossible donc de tomber dans le travers du jugement. Virginia force notre empathie, voire notre sympathie. « Comme dans Jeune et Jolie par rapport à l’univers bourgeois d’origine de l’héroïne, le personnage de David/Virginia est quelqu’un qui essaie de sortir du genre. C’est un personnage, qui, dans ce processus de travestissement, s’émancipe, voire s’épanouit. », souligne François Ozon. Mais cette émancipation ne peut se faire sans le regard et le soutien de l’autre, ici celui de Claire.
Le personnage secondaire du mari de Claire, interprété avec beaucoup de sensibilité par Raphaël Personnaz, sert aussi, par cette forme d’exclusion dont il est victime dès le début du récit par sa femme, à illustrer toute l’ambivalence et l’originalité de cette relation amicale/amoureuse qui se développe entre Claire et David/Virginia.
Une fois de plus, François Ozon filme avant tout le point de vue principal d’une femme, celui de Claire ou celui d’un homme qui aspire à devenir femme. Pourquoi une telle fascination pour le personnage féminin au cinéma, présente dans la plupart de ses films ? « Avec les personnages féminins, on est très vite dans l’émotion, dans les sensations. Par exemple dans le film, le personnage de Claire ne dit pas grand-chose mais intérieurement vit énormément de choses. Ce qui était bien c’est qu’ici, j’avais vraiment en face de moi deux actrices. Romain est vraiment devenu une actrice à part entière sur le tournage. On l’attendait longtemps au maquillage (rires). », s’amuse le réalisateur et scénariste du film.
Comment Romain Duris a-t’il abordé le personnage de Virginia ? « D’abord d’un point de vue physique (j’ai décidé de perdre du poids pour mieux m’approprier le corps de ce personnage). J’ai fait un régime pour sentir mieux Virginia, cette femme en moi. Et puis maigrir affinait mon visage, explique le comédien. « Il y avait un dosage à trouver dans la féminité de Virginia. A la fin du film, on la retrouve en jean, ses cheveux sont plus foncés. Elle est une sorte de Mick Jagger au féminin alors que le scénario pouvait laisser penser qu’elle allait être une Lauren Bacall ! Mais sa féminité a sans doute gagné en intériorité. Comment construire le personnage de David, dans tout ça ? La complexité était justement de jouer David, c’est là que se posaient les vraies questions. Je n’avais pas envie d’accentuer sa virilité. David ne se transforme pas en Virginia pour fuir le chagrin ou la frustration mais pour mieux se trouver. Et trouver son plaisir. »
Du point de vue du spectateur, c’est justement le plaisir du comédien qui est ici palpable à l’écran. Romain Duris tient à préciser qu’il n’a pas cherché à rencontrer de travestis mais à travailler avant tout l’émotion de son personnage : « Le film nous place au même niveau que ce que ressent intrinsèquement Virginia. D’où l’empathie. Et l’absence de jugement ressentie par le spectateur. »
C’est une composition remarquable et remarquée de la part du comédien (on murmure déjà une prochaine nomination aux César) mais qui a probablement de façon interne marqué à jamais ce dernier : « Il y a peu d’occasions d’incarner des transformations aussi radicales et celle-ci m’a donné des ailes. Aujourd’hui grâce à Virginia, je suis moins flippé de prendre mon temps, de vivre pleinement mes personnages. Virginia est l’un des rôles qui m’a le plus marqué. Elle va me manquer ! »
Une nouvelle amie Ecrit et réalisé par François Ozon Avec Romain Duris, Anaïs Demoustier, Raphaël Personnaz, Isild Le Besco… Sortie le 5 novembre 2014