Rencontre avec Daniel San Pedro, fidèle à l’aventure

Daniel San Pedro est comédien, metteur en scène, auteur et co-fondateur de la Compagnie des Petits-Champs qu’il a créé en 2008 avec Clément Hervieu-Léger (sociétaire de la Comédie Française). Mais au fait, que signifie fonder une compagnie de théâtre aujourd’hui ? Et comment la nourrir et la faire perdurer ?

Commençons par la création de votre compagnie…

Avec Clément (Hervieu-Léger), on a créé la Compagnie des Petits-Champs en mai 2008. En général, on crée des compagnies quand on sort du Conservatoire ou de grandes écoles. On a 25 ans, on a plein d’envies et surtout, on souhaite ardemment continuer de travailler avec ses camarades de classe, etc.

Or, on n’a pas du tout démarré ainsi. On était dans des écoles différentes et on a tout de suite travaillé, pour d’autres personnes. Mais malgré tout, il n’est jamais trop tard… (Rires)

Qu’est-ce qui a déclenché cette envie de fonder votre compagnie ?

On s’est dit, à un moment donné, qu’on partageait les mêmes envies. Monter des spectacles, réunir des gens (des acteurs, des artistes, des créateurs lumière, sons, costumes, des techniciens) qui étaient  aussi des amis ; avec lesquels on avait vécu des choses importantes et une vraie fidélité. On avait envie de les embarquer avec nous dans cette aventure.

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« Pour Clément, sa volonté dès le départ, c’était de monter Le Pays Lointain à l’intégrale »

Comment un projet comme Le Pays Lointain arrive sur votre table de co-fondateur de la Compagnie des Petits Champs ?

La première des choses, par rapport au choix d’un texte pour notre compagnie et ici concernant Le Pays Lointain, c’est que ça doit partir d’un coup de cœur énorme pour le texte, pour la pièce ! C’est la chose la plus importante et la plus forte.

Après, on rentre dans le cœur du sujet et on commence à discuter de beaucoup de points techniques. Certains vont devenir des contraintes. Il va falloir s’adapter, trouver de l’argent, convaincre des théâtres, des producteurs, des partenaires.

Quelles ont été justement la ou les contraintes de cette pièce ?

La principale difficulté du Pays Lointain, c’était la longueur de la pièce. Mais pour Clément, sa volonté dès le départ était de la monter à l’intégrale. Chose qui n’avait jamais été faite. On aurait pu se dire au début que c’était un handicap mais en fait, ça a été justement la force de cette proposition. Quand Clément à rencontré Stanislas Nordey (directeur du TNS, ndlr) pour lui parler de son projet, c’est justement ce parti-pris qui, l’a intéressé.

Le TNS a été pour vous sur ce projet un véritable élément moteur…

Le fait d’avoir comme partenaire principal le TNS a été fondamental pour ce spectacle. Et pour la compagnie, c’était un véritable pas en avant. C’était la première fois qu’un théâtre national s’engageait avec la compagnie. Le Théâtre de l’Odéon n’était pas encore en pourparlers avec nous.

Ensuite, cette première étape passée, on se retrouve dans un processus classique de création : la scénographe va plancher sur le décor, la costumière, le musicien, etc…

 « La chose la plus importante dans le montage d’une pièce, c’est sa distribution ! »

Oui, ça c’est sûr ! Il y a une famille qui s’est créée et qui est bien plus large que celle qu’on voit là sur Le Pays lointain.

La difficulté est qu’on ne peut pas distribuer tout le monde. On aimerait à chaque fois embarquer le plus de gens possibles… Et c’est là qu’il faut être vigilant, rigoureux pour garder en tête qui va correspondre le mieux au rôle. Tout en essayant d’élargir à chaque fois cette famille. Ce qui ici a été le cas avec François Nambot, Louis Berthelemy, Vincent Dissez. On n’avait jamais  travaillé avec eux.. Si dans cette famille-là il n’y a pas la personne idéale pour ce rôle, on va la chercher ailleurs.

Dans ce projet, vous êtes aussi comédien…

Etant co-directeur de la compagnie, je participe à toute la vie de la compagnie, mais quand je suis comédien, je suis comédien ! Clément aurait pu ne pas me donner de rôle sur ce spectacle, ça n’aurait pas été un problème du tout. A partir du moment où on commence le travail, je suis un comédien comme un autre.

Sur le plateau du Pays Lointain, c’est Clément qui s’est occupé de tout…

Oui, bien sûr ! Il travaille, échange avec ses collaboratrices, ses collaborateurs, ses actrices et acteurs. On échange, discute…Chacun à son poste. Comme chaque interprète, je me suis m’occupé de chercher mon « Guerrier, tous les guerriers ».

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« La langue de Lagarce est une langue qui s’éclaire dès qu’on est ensemble sur le plateau. »

Comment se passe justement votre recherche ?

Chacun a la sienne, ses habitudes. Chacun fait un peu comme il peut, j’ai envie de dire ! L’apprentissage de ce texte-là a été compliqué, pour moi, mais comme pour la majorité des autres interprètes. C’est une langue qui devient évidente et qui s’éclaire totalement dès qu’on est sur le plateau mais avant, seul, au moment où on l’apprend, où on le lit, où on le relit pour essayer de le comprendre, c’est assez compliqué !

Je me suis dit qu’il fallait faire confiance à Clément, au travail en répétition. Ce qui fait que je ne me suis pas « hyper préparé ». Je n’avais pas eu d’idées particulières sur ce personnage. Je me suis dit qu’il serait temps de le faire au moment des répétitions.

Pouvez-vous nous parler justement de ces répétitions ? Comment se sont-elles déroulées ?

Elles ont duré un mois et demi. L’idée vraiment géniale de Clément, à mon avis, a été de faire une mise en scène chorale. Mettre en scène tous les acteurs, tout le temps ensemble. Chose qui n’est pas écrite dans le texte. Cela a permis de rendre évident, petit à petit, ce côté théâtre dans le théâtre, jouer, ce qui est mon cas, plusieurs personnages… Le fait d’être tous réuni sur le plateau, à l’écoute de chacun, les yeux dans les yeux, percevant chaque respiration, chaque mouvant de corps a été très jouissif, très agréable à faire…

Les répétitions se sont faites dans la fameuse étable de la compagnie…

Oui. L’étable, c’est un lieu magnifique, à Beaumontel dans l’Eure, à une heure vingt de Paris. C’est une étable qui a été construite en 1950 par le grand-père de Clément. Après la guerre, il a fait bâtir une étable qui est devenue une étable modèle, référencée parce qu’elle prenait soin du confort des animaux, des vaches et des taureaux.

Puis le grand-père a décidé de se séparer de ses bêtes. L’étable aujourd’hui est encore en activité, Clément a un élevage de chevaux. La compagnie c’est installé au-dessus des écuries, dans l’ancien grenier à grains réaménagé en un espace de 200 m2, avec une très belle hauteur sous plafond. Et grâce aux tutelles du département de l’Eure, de la région Normandie, de l’Europe aussi, on a pu rénover cet espace, l’équiper (projecteurs, sons). C’est devenu notre lieu de répétition mais aussi un lieu de résidence de création ouvert aux autres compagnies et notamment aux compagnies normandes qui bénéficient d’un accueil gratuit grâce à la région Normandie. Nous disposons de nombreux logements sur place pour accueillir les équipes.

Noces de sang - de Federico Garcia Lorca - Traduction, adaptation et mise en scène : Daniel San Pedro - avec : Nada Strancar - Clément Hervieu-Léger - Zita Hanrot - Stanley Weber - Yaël Elhadad - Martine Vandeville - Aymeline Alix - Christian Cloarec - Luca Besse - Production : La Compagnie des Petits Champs - Novembre 2015 - Chateauvallon

Noces de sang – de Federico Garcia Lorca – Traduction, adaptation et mise en scène : Daniel San Pedro – avec : Nada Strancar – Clément Hervieu-Léger – Zita Hanrot – Stanley Weber – Yaël Elhadad – Martine Vandeville – Aymeline Alix – Christian Cloarec – Luca Besse – Production : La Compagnie des Petits Champs – Novembre 2015 – Chateauvallon

« Avec Clément, on est souvent choqué par la représentation caricaturale du paysan au théâtre »

Au début de la création de votre compagnie, il y avait cette idée de parler du monde rural au théâtre, est-ce toujours votre fil conducteur ?

Le goût pour la terre est une des choses qui nous a réunis avec Clément. Mes racines ne sont pas normandes, elles sont espagnoles mais j’ai un rapport au monde rural par ma famille et qui est extrêmement important pour moi.

Au démarrage de la compagnie on a bâti un projet sur trois ans autour du monde rural.

Par exemple, on était souvent choqué l’un et l’autre par la représentation souvent caricaturale du « paysan » au théâtre. Clément a monté L’Epreuve de Marivaux qui était le premier spectacle de la compagnie. La première indication de Marivaux dans la pièce était : « La scène se passe à la campagne. » Et il y a ce personnage de Maître Blaise qui patoise et dont souvent, on en fait une espèce de benêt, tout ça parce que le gars est paysan avec un accent.

Ensuite, j’ai monté Yerma de Garcia Lorca qui est une pièce que je rêvais de mettre en scène. J’ai pu accomplir un autre rêve, celui d’avoir Audrey Bonnet pour jouer Yerma. Après j’ai monté Noces de sang qui se passe aussi à la campagne. Ces deux pièces font parties d’une trilogie sur le monde rural.

La représentation du monde rural s’est faite aussi avec Le Voyage en Uruguay, une pièce écrite par Clément sur sa propre histoire familiale, que Guillaume Ravoire a joué en solo et que j’ai mis en scène. Mais passées ces quatre pièces-là, on a élargi le champ de nos investigations. Néanmoins cet attachement au monde rural reste présent.

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« Nous avons deux projets de mise en scène déjà bien avancés au sein de la compagnie. »

Est-ce qu’il y a des projets pour la compagnie, en cours de réalisation ?

Oui, surtout qu’en France, on est obligé de lancer au moins deux ans à l’avance un projet pour le voir se concrétiser.

La prochaine création de la compagnie, mise en scène par Clément, est une pièce de Goldoni Une des dernières soirées de carnaval. C’est la dernière pièce que Goldoni écrit à Venise. Ensuite il s’installera à Paris. Ses relations avec Gozzi sont devenues très compliquées, il y a une grande rivalité entre ces deux auteurs. Il décide d’écrire une dernière pièce pour cette ville, pour ses Vénitiens qu’il a tant aimés et pour lesquels il a tant écrit.

Quand aurons-nous la chance de découvrir ce spectacle ?

On va le créer en septembre 2019, à Genève au Théâtre de Carouge. S’en suivra une tournée puis il se jouera à Paris aux Bouffes du Nord du 8 au 29 novembre 2019. Sur scène, il y aura 15 acteurs parmi lesquels, deux musiciens et un chanteur. Ça va être un spectacle assez joyeux. Une pièce d’équipe, de famille aussi.

Quel est votre autre projet en préparation ?

Je vais terminer le travail que j’ai entrepris sur Lorca avec Yerma et Noces de sang. Au lieu de monter La Maison de Bernarda Alba, dernier volet de la trilogie. J’ai inventé une suite. Je me suis amusé à faire mourir Bernarda Alba qui est le personnage qui pose problème (rires). La mort de cette mère abusive va libérer ses filles. Elles vont pouvoir enfin vivre! Il était temps que quelqu’un les libère… Le temps d’enterrer leur mère, elles vont faire tomber les murs de cette maison et se libérer. Elles vont pouvoir goûter à la liberté, rêver d’un avenir meilleur, se choisir un chemin, un destin, vivre leur vie. Dehors, les bruits de la guerre civile commencent à se faire entendre. Ils vont bousculer les espoirs et les rêves de cette fratrie de femmes. Il va falloir aussi choisir son camp. Résister, fuir ou collaborer. Les filles de Bernarda récupèrent leur liberté au moment où l’Espagne est en train de perdre la sienne.

Andando-Lorca 1936  sera une création musicale, un concert théâtral, je retrouve Pascal Sangla pour la composition et la direction musicale.

IL y aura Audrey Bonnet, Camélia Jordana, Estelle Meyer, Aymeline Alix (qui est déjà dans Le Pays Lointain), Johanna Nizard, Zita Hanrot et trois musiciens, Liv Heim, Pascal Sangla et M’Hmamed el Menjra.  La création est à la scène nationale de Bayonne au mois de mars 2020 puis aux Bouffes du Nord du 23 avril au 02 mai, au milieu d’une tournée.

Un autre spectacle dans votre besace ?

On reprend justement un spectacle en tournée que j’ai mis en scène et créé à Casablanca en mai 2017 et qui s’appelle Ziryab. C’est la biographie d’un des plus grands musiciens du monde arabe qui a vécu à Cordoue au 9eme siècle à l’époque d’Al Andalus où Cordoue était sous domination musulmane. Une période assez surprenante de tolérance, de cohabitation des trois cultures, des trois religions.

On va aussi proposer une version plus légère avec juste une comédienne pour aller dans les lycées, les collèges et pouvoir raconter ce pan de l’histoire si peu connue. C’est vraiment important par les temps qui courent de parler de tolérance, de partage, de cohabitation, d’échange. Mais pas de façon agressive ou militante, tout doucement, en musique, en Français et en Arabe.

Si on revient à votre propre parcours et à votre double culture franco-hispanique, en quoi les textes espagnols sont si chers à vos yeux ?

Lorca a été fondamental pour moi. Quand j’avais neuf ou dix ans j’ai découvert sa poésie et son théâtre.

Et comme il y avait du mystère autour de lui, grâce involontairement à un prof un peu franquiste sur les bords qui essayait de cacher pas mal de choses, je l’ai pris comme un cas d’enquête. Et j’ai découvert, au-delà du théâtre et de la poésie, la vie incroyable de ce jeune génie. Et Lorca m’accompagne tous les jours encore.

Après, concernant le rapport aux langues, je trouve ça magnifique de pouvoir les mélanger. Pouvoir faire entendre la langue maternelle de Lorca.

Dans Ziryab on entend le français, l’arabe, l’espagnol et l’hébreu. Idem dans Yerma et dans Noces de sang, on mélangeait l’espagnol et le français. Dans Andando-Lorca 1936 on entendra aussi plusieurs langues. Je trouve ça magnifique, cela devient musical, les rythmes de chaque langue sont différents, on invite quasiment une nouvelle langue.

Y a-t’il eu une rencontre importante dans votre parcours ?

En fait, il y a beaucoup de personnes qui ont compté pour moi. Je me suis souvent engagé dans des aventures d’équipes, souvent longues, souvent en province. J’ai été durant plusieurs années artiste associé à la scène nationale de Châteauvallon par exemple, Angers, Marseille, le Pays Basque. D’autres fois à l’étranger. Maintenant en Normandie. Gardant à l’esprit de ne pas m’installer, ni à Paris, ni ailleurs. Une des plus belles choses c’est la rencontre et le travail avec des auteures et des auteurs vivants, Liliane Atlan, Louise Doutreligne, Wajdi Mouawad, Fabrice Melquiot, Israel Horovitz, Michel Marc Bouchard, Jesus Greus, Florian Zeller, Christian Siméon, Clément aussi.

C’est vraiment un parcours libre, rempli de gens et de mondes différents! (rires)

Et que vous inspire le Théâtre de l’Odéon ?

J’ai une anecdote à ce propos ! Le premier spectacle que j’ai vu quand je suis venu à Paris (j’avais alors quinze ans) se donnait à l’Odéon. C’était Giorgio Strehler qui dirigeait alors l’Odéon. Et je décide d’aller voir L’Illusion comique de Corneille mise en scène par Strehler avec Nada Strancar. Et j’ai été littéralement hypnotisé par cette pièce. En sortant du spectacle, je savais que je voulais être comédien.

C’est un des cadeaux magnifiques de la vie quand beaucoup d’années plus tard, je me retrouve sur scène avec Nada à l’Odéon !

Crédits photos : Droits réservés.
Pour en savoir plus sur la Compagnie des Petits Champs 
www.lacompagniedespetitschamps.com

 

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