Marie Coquille-Chambel, YouTubeuse Théâtre
FILMER AVEC L’EMOTION
Depuis 2019, Marie Coquille-Chambel, 23 ans, nous partage sur son compte YouTube Plain Chant*, son récent coup de foudre pour le théâtre, à travers des critiques, interviews et reportages très documentés et engagés. Son dernier reportage dédié aux femmes dans le théâtre vient de paraître. Comme le précédent sur la diversité au théâtre, il fait sens avec son propre parcours d’étudiante en master II de Littérature française qui se rêve autant universitaire que critique. Avec raison, évidemment.
Quelle est l’histoire de ta chaîne YouTube ?
Je l’ai lancée en mai 2019. Avant je faisais des sortes de capsules sur Instagram où je parlais de spectacles que j’avais vus. Le premier spectacle dont j’ai ainsi parlé était J’ai pris mon père sur mes épaules de Fabrice Melquiot, mis en scène par Arnaud Meunier. J’avais ressenti tellement d’émotions que je ne pouvais pas garder cela pour moi. Le Théâtre du Rond-Point a décidé de m’inviter suite à ce travail. Je cherchais une plateforme où je pouvais diffuser plus de 24h. Et YouTube était parfait pour ça !
Au début, je pensais surtout faire de la critique. C’est après que je me suis dit que faire des interviews, rencontrer des gens, ça avait l’air sympa ! Et très vite, j’ai voulu faire un reportage sur la diversité au théâtre parce que des personnes racisées m’avaient parlé des problèmes qu’elles rencontraient. Et en cherchant un peu sur Internet, je n’ai quasiment rien trouvé si ce n’est quelques tribunes dans Télérama et ce n’était pas suffisant. Et après, par rapport à ma chaîne, j’ai vraiment envie que cela soit un endroit où je défende les femmes, la diversité et tous les enjeux sociétaux qu’on peut voir dans le milieu théâtral.
C’est important aussi que tu apparaisses à l’image.
En fait, j’ai l’impression que c’est plus facile pour les gens de me parler et de témoigner ainsi. On parle des personnes et de leurs vies intimes et quand je place la caméra au loin, en me filmant à l’écran avec la personne interviewée, ça donne lieu à des échanges plus spontanés et assez beaux. Au montage, je retire mes interventions et cela apporte quelque chose de plus doux, de plus bienveillant.
Quel a été ton propre cheminement vers le théâtre ?
J’étais en classe préparatoire en Avignon dans une spécialité théâtre parce que je voulais avoir un loisir avec ma classe prépa. Et j’ai tenu juste un an parce que jouer, ça ne me plaît pas du tout ! Je déteste ça, je ne sais pas jouer. La meilleure place selon moi au théâtre, c’est celle du spectateur, du critique. On voit des gens faire des choses jolies et après on en parle. On ne prend aucun danger. Je n’ai même pas été jusqu’au bout et joué la représentation !
Je n’avais jamais vraiment été au théâtre avant et j’ai vu des spectacles dans ce cadre.
La première pièce que j’ai vue, j’avais 18 ans ! J’étais majeure. Parce que quand j’habitais en Haute-Savoie, il n’y avait pas de théâtre. Enfin, il y avait le théâtre de Bonlieu à Annecy mais c’était à une heure d’autoroute de chez moi. Ma famille n’a jamais été au théâtre. Et en 2018, quand j’ai été quittée par un garçon, je me suis retrouvée toute seule le soir du 31 décembre, alors que je devais le fêter avec lui. Et je me suis dit, bon, qu’est-ce qu’on peut faire quand on est toute seule à Paris ? J’ai été prendre ma place au petit guichet de la Comédie-Française et j’ai vu La Nuit des Rois par Ostermeier que j’ai adoré !
J’ai vu ce spectacle toute seule mais il y avait pourtant une telle communion dans la salle.
Je me suis dit : « voyons s’il y a autre chose ! » J’ai vu Retour à Reims par Ostermeier, J’ai pris mon père sur mes épaules, tout ça dans la même période en janvier 2019. A partir de là, j’ai cherché tous les moyens possibles pour y retourner toutes les semaines et pour pas cher.
« Avec ma chaîne YouTube, je souhaite défendre les femmes, la diversité et tous les enjeux sociétaux qu’on peut voir dans le milieu théâtral. »
Comment se passe ta relation avec ta communauté qui te suit sur YouTube mais aussi sur les réseaux sociaux ?
C’est très chouette parce qu’à chaque fois, toutes leurs interventions sont très précises. Ce sont des gens qui souvent peuvent avoir mon âge, comme ils peuvent être beaucoup plus âgés et il y a une vraie volonté de débattre sur certains sujets.
Il y a vraiment une relation de contact. Et il y a un soutien à chaque fois par rapport à tout ce que je peux faire, tout ce que je peux dire, qui est sans faille et très impressionnant.
Mes études me donnent une certaine forme de légitimité parce que je travaille quand même dans ce domaine. Or mon avis pourrait n’avoir aucune valeur. Ce sont les personnes qui me regardent et me suivent qui m’en donnent.
Combien de temps exactement t’a pris le reportage sur la diversité au théâtre, parce qu’il y a aussi un énorme travail de recherche, en plus des interviews et du montage ?
De septembre 2019, au moment où j’ai dit publiquement « Je veux travailler sur ce sujet ! » jusqu’à la mise en ligne en avril 2020 : c’était effectivement très long !
Le travail de recherche n’a pas forcément été le pire parce que je connaissais déjà un peu le sujet. Après, les interviews se sont faits d’octobre 2019 jusqu’à février 2020, vraiment au fur et à mesure. Le jour où Olivier Py m’a dit oui et celui où j’ai pu faire l’interview téléphonique, un mois s’était écoulé. Pour Stanislas Nordey, je l’avais croisé à un pot de première et cela s’est fait assez rapidement. Rien à voir avec mon reportage sur les femmes et le théâtre où vraiment j’avais ma liste, où j’étais mieux organisée. (Rires).
Dans ta chaîne YouTube tu traites plus du théâtre public que du théâtre privé, pourquoi, selon toi ?
Cela vient du fait probablement que de moi-même, je me suis tournée vers le théâtre public parce que c’était moins cher. Dans le théâtre public, il y a aussi cette question politique, démocratique qui me touche plus. En fait, les grosses têtes d’affiches du théâtre privé ne m’intéressent pas forcément. Je n’ai pas envie d’aller au théâtre pour voir une célébrité mais pour un texte monté. Je crois que c’est plutôt ça mon approche.
« Qu’est-ce qu’on a comme reportage sur les femmes et le théâtre ? On n’a rien ! »
Comment t’est venue l’idée de parler des femmes au théâtre ?
Quand j’ai fait mon reportage sur la diversité, il a été assez mal reçu : Cécile Backès et d’autres personnes m’avaient un peu attaqué sur les réseaux sociaux parce qu’il n’y avait pas de femmes dedans. Il y avait juste Yilin Yang et Mata Gabin. Et ça m’a un peu vexée parce que j’avais demandé à beaucoup de femmes de participer à ce reportage et j’avais essuyé pas mal de refus. Ce n’était pas parce que les personnes ne voulaient pas travailler avec moi, mais bien parce qu’elles avaient peur.
Ça m’avait aussi fait du mal de réaliser que je reproduisais un schéma misogyne par omission.
J’ai réalisé ce reportage sur les femmes parce que ça me touchait personnellement. Si moi, je suis capable de rentrer dans ces stéréotypes-là alors que j’ai une formation littéraire et que je me suis déconstruite par rapport à plein de sujets, il fallait que je le fasse. Et à part des rapports ministériels, qu’est-ce qu’on a comme reportages sur les femmes et le théâtre ? On n’a rien !
Donc sur quoi tu t’es basée justement dans tes recherches préparatoires ?
Notamment avec le rapport de Reine Prat, le rapport de l’Observatoire de l’Egalité Homme-Femme dans la communication et la culture et le formidable discours de Carole Thibault au Festival d’Avignon en 2018 qui est vraiment une claque !
Après, j’avais vu cet été le scandale qui avait eu autour de l’article de Sceneweb sur la programmation de l’Odéon et le « Trois femmes metteuses en scène sur 13 spectacles d’une programmation qui n’est pas paritaire, avec deux autrices dont Marie Ndiaye ». Et là, j’ai réalisé que c’était un gros problème parce que je ne m’en rendais même pas compte.
Quel est le propos commun que tu as vu ressortir dans ce reportage ?
Leur « invisibilisation » surtout. Le manque de considération du travail esthétique parce que souvent les metteuses en scène sont questionnées sur leurs rapports à la famille, leurs thématiques délicates, ce genre de choses et jamais on ne parle vraiment de ce qu’elles font comme les hommes. Il y a surtout ça. Après forcément on a parlé de possibles agressions sexuelles dans le milieu, d’un sexisme intégré aussi, que ce soit dans les mots utilisés ou dans le fait de dire que si des femmes sont programmées, c’est parce qu’elles sont des femmes et qu’elles forment un enjeu politique.
Mais chaque expérience est intime et personnelle donc je n’ai pas non plus envie de dire que tout le monde a vécu la même chose.
Quelles sont les femmes que tu as contactées ? Les as-tu choisies pour leurs différences de métiers, de fonctions dans le théâtre ?
J’ai choisi d’avoir des intervenantes dans tous les domaines qui traitent de la question théâtrale en axant aussi beaucoup ma recherche sur les femmes qui sont sur le plateau et les personnes qui gravitent autour ; en faisant attention à ne pas avoir que des comédiennes de classe aisée, blanches et très installées. Ça m’intéressait aussi d’avoir des personnes qui sortent des écoles. Avoir un point de vue un peu global même s’il faut garder ces figures fortes aussi dedans, ne pas les « invisibiliser » et avoir du coup des expériences très différentes.
« Je filme avec l’émotion. »
Et tout ce travail que tu réalises ici, est-il en lien avec tes études ?
Complètement. L’année dernière, j’ai fait un mémoire de master I en Littérature française sur Qu’est-ce qu’un théâtre politique ? La représentation du peuple sur la scène contemporaine, en m’appuyant beaucoup sur le travail d’Olivier Neveux, qui est mon père spirituel !
Et cette année, je travaille sur l’engagement politique de femmes racisées dans le théâtre donc avec Le Iench d’Eva Doumbia, Akila, le tissu d’Antigone de Marine Bachelot NGuyen et sur Place de Tamara Al Saadi. Ces femmes font partie de mon reportage. Elles m’ont marquée par leur écriture et leurs interventions aussi. Je mets vraiment en application mon travail de recherche pour ma chaîne Youtube et pour mes études. Et l’année prochaine, je vais faire une thèse sur le lien entre diversité et démocratisation théâtrale. Il faut encore que je peaufine mon projet de thèse et j’espère le faire sous la direction de Sylvie Chalaye, une universitaire que j’aime beaucoup, notamment par rapport à son livre Race et théâtre.
Tu te destines plutôt à la recherche ou au journalisme ?
J’adorerai être critique. Après il faut voir si un jour je serai engagée ou pas, si quelqu’un voudra travailler avec moi (rires). Et j’aimerai continuer le travail de recherche universitaire, finir dans un laboratoire de recherche théâtrale, j’aimerai beaucoup. J’aimerai vraiment faire les deux ! Cela a du lien et du sens de les mettre ensemble.
Comment réalises-tu tes vidéos ?
En fait, je n’écris pas avant de tourner mes vidéos. J’appuie sur le bouton et je parle ! Sauf pour ma vidéo sur Olivier Py où j’avais quand même pris certaines notes parce que je ne voulais pas oublier certaines choses.
Mais sinon, c’est vraiment comme je le sens. Je tourne la nuit, après avoir vu le spectacle. Je filme avec l’émotion. C’est ça qui me plaît dans la vidéo : quand on écrit une phrase, ça ne se voit pas forcément. Ou alors il faut mettre trois points d’exclamation derrière mais là, il y a vraiment quelque chose de vif qui m’intéresse. Et je pense que c’est avec ça qu’on peut le mieux parler d’un spectacle.
Entretien réalisé à Paris en décembre 2020. Un grand merci à Marie pour sa confiance et sa générosité. Retrouvez aussi son travail sur Instagram et Twitter.
*La petite histoire du choix du pseudo « Plain Chant » : « Il fait référence à un poème de Cocteau et j’aime le côté musical et voix qu’implique le Plain Chant. »
Voici la liste des intervenantes présentes dans le reportage sur Les femmes et le théâtre : Carole Thibaut, Valentine Roux, Aurore Evain, Eva Doumbia, Sephora Pondi, Tamara Al Saadi, Marine Bachelot Nguyen, Lorraine de Sagazan, Julie Duclos, PayeTonRole, Pauline Bureau, Garance Bonotto et Jade Herbulot.
Retrouvez le reportage sur les femmes au théâtre ici !