Rencontre avec Robert Redford

Un samedi après-midi de février à la Cinémathèque. Un samedi ensoleillé, pas comme les autres. Robert Redford synthétise à lui seul le cinéma hollywoodien et le cinéma américain indépendant, la cinégénie foudroyante comme la réalisation exigeante, l’engagement écologique et une vraie prise de conscience politique. Un véritable artiste, engagé, toujours en recherche, devant et derrière la caméra (mais pas seulement !).

Crédit photo : United States of Paris

Robert Redford à la Cinémathèque – Crédit photo : United States of Paris.

Paris n’est pas un lieu anodin pour Robert Redford. Lui qui justement, à 18 ans, s’était échappé de sa Californie étouffante pour respirer le frais et revigorant air artistique de Montmartre. En recevant ce Cesar d’honneur, à 82 ans, Robert Redford est revenu sur ce moment fondateur de la naissance de sa sensibilité artistique.

C’est à Paris, en se frottant à la peinture, à l’émulation artistique de l’époque, à la solitude aussi de l’étudiant étranger (qui pensait que porter une casquette à la Gavroche lui donnerait un vrai look de Titi parisien et permettrait de mieux s’intégrer) qu’il a véritablement posé son regard sur la société, sur ses contemporains, tentant de les croquer, par le dessin, assis à une terrasse de café montmartrois.

Soudain ce dernier, le « vrai Robert Redford » entre en scène. Les flashs crépitent. On lui présente une plaque en or à son nom pour célébrer et immortaliser l’événement. « Si cela vous amuse », semble traduire le regard perçant de L’Homme qui murmurait à l’oreille des Chevaux.

Les journalistes et le traducteur (pas peu fiers) prennent place sur les chaises dédiées, autour de lui, habillé décontracté mais toujours élégant… jusqu’aux mocassins !

Une certaine conscience politique

Dessin de Sarah Taupin

Robert Redford à la Cinémathèque -Dessin de Sarah Taupin

Le film projeté avant cette masterclass et choisi par Robert Redford, le passionnant Les Hommes du Président (1976), réunit Robert Redford et Dustin Hoffman dans les rôles des célèbres journalistes investiguant sur l’affaire du Watergate.

Robert Redford évoque pour nous l’origine de son désir de raconter les coulisses de cette enquête : rencontrant des journalistes politiques dans un train, il leur demande pourquoi, ils ne tentaient pas de chercher la vérité sur le cambriolage du Watergate qui venait d’avoir eu lieu à Washington.

« Ils m’ont répondu : vous ne comprenez pas le fonctionnement de Washington. Les gens ont peur. Le président Nixon est un homme vindicatif. Les gens se sentent menacés. On ne parlera jamais de ce cambriolage. C’est impossible.

C’est ce qui m’a donné l’impulsion pour le faire ! », conclut, tout sourire, Redford qui se fera producteur pour l’occasion afin d’être parfaitement « indépendant » par rapport aux studios hollywoodiens de l’époque.

Dénicher ou soutenir les talents de son époque

Dustin Hoffman et Robert Redford, Les Hommes du Président - Dessin de Sarah Taupin

Dustin Hoffman et Robert Redford, Les Hommes du Président – Dessin de Sarah Taupin

Celui qui a filmé et propulsé la carrière de Brad Pitt, Scarlett Johannson, Matt Damon… a permis aussi à d’autres comédiens comme Jason Robards de se remettre en selle.

« Je voudrais vous raconter une anecdote à propos de Jason Robards. Longtemps avant Les Hommes du Président, j’avais tourné dans une captation en direct de Eugene O’Neill où Jason Robards jouait le rôle principal. J’étais très jeune à l’époque et je jouais le rôle d’un personnage faible, qui se tue à la fin de la pièce.

Très souvent à midi, Robards m’invitait à boire des coups dans un bar. C’était un homme qui buvait beaucoup et je me rappelle d’un ou deux moments intéressants à ce propos (rires). Mais je dois dire que la prestation de Robards dans ce rôle ne sera jamais égalée. Il avait une capacité de forer les profondeurs du rôle de façon inédite.

Par la suite, parce qu’il buvait, il eût un accident grave. Il dût passer en chirurgie. Et quand on faisait le casting pour Les Hommes du Président, j’ai demandé Jason Robards. Et l’on m’a dit : c’est impossible, c’est un acteur fini !

J’ai insisté et j’ai dit : en ce cas, je ne fais pas le film. Je l’ai imposé pour le rôle et le résultat est qu’il a décroché par la suite un Oscar pour le rôle. Pas mal, non ? »

« Who is Paul Newman ? »…

Robert Redford - Paul Newman - Butch Cassidy et le Kid - Droits Réservés

Robert Redford – Paul Newman – Butch Cassidy et le Kid – Droits Réservés

… Est la malicieuse réponse de Robert Redford à la question inévitable de sa collaboration avec cet autre monstre sacré du cinéma hollywoodien. Encore une fois, Redford, à travers une savoureuse anecdote des coulisses du tournage de Butch Cassidy et le Kid, nous révèle son exigence d’acteur et son opiniâtreté, faits d’armes qui se révélèrent à nouveau payants.

« Je dois beaucoup à Paul Newman. Je n’avais pas 30 ans quand je l’ai rencontré. Il avait la quarantaine passée. Au moment du casting, on m’a d’abord proposé le rôle de Butch Cassidy parce que j’avais joué un personnage léger dans Pieds nus dans le Park. Ils ont pensé que ce serait un rôle parfait pour moi. Je suis allé voir le réalisateur George Roy Hill et je lui ai dit : « Ce n’est pas ce rôle qui m’intéresse. C’est le rôle du Sundance Kid parce qu’il est hors-la-loi et que je me vois comme ça, comme quelqu’un qui n’enfreint peut-être pas les règles mais qui est contre les règles et ne veut pas être limité par celles-ci.

Et George Roy Hill a saisi l’intérêt de ça. Il m’a envoyé voir Paul Newman, que je ne connaissais pas et on a discuté. Et Paul Newman a donné son accord. Mais la Fox ne voulait pas de ça parce que Newman était une immense star et qu’ils ne voulaient pas mettre un inconnu face à lui. Mais heureusement, j’ai eu le soutien de Newman, du réalisateur et du scénariste du film.

C’est précisément ce film qui propulse Robert Redford au rang de star hollywoodienne. Il retrouvera Paul Newman dans L’Arnaque et à ce propos, Redford s’amuse à remarquer : « Personne ne l’a jamais relevé mais dans Butch Cassidy et le Kid, c’est moi qui joue le personnage le plus sombre et le plus réservé des deux tandis qu’à l’inverse, dans L’Arnaque, c’est moi qui joue le personnage « léger et souriant ».

Sydney Pollack, une collaboration fondamentale

Robert Redford et Meryl Streep sur le tournage de Out of Africa de Sydney Pollack

Robert Redford et Meryl Streep sur le tournage de Out of Africa de Sydney Pollack

« Pour Propriété interdite, il y avait une longue liste de réalisateurs prévus pour tourner le film. C’était un projet lié à Nathalie Wood avec qui j’avais déjà tourné auparavant. Je voulais travailler avec Sydney parce qu’il avait été comédien et c’était assez égoïste de ma part mais je pensais aussi à lui pour tourner Jeremiah Johnson, Les Trois Jours du Condor, etc. Bref, je l’ai poussé par rapport aux autres et il a été embauché.

Concernant Jeremiah Johnson, c’est un film dont les studios ne voulaient absolument pas. Avec Sydney, nous sommes remontés au créneau plusieurs fois, nous avons vraiment insisté. Le budget était de 5 millions de dollars. Ils trouvaient ça trop cher. Ils ont fini par dire : si vous voulez, vous pouvez le tourner en Espagne. A ce moment-là, j’ai dit : je peux le tourner en Utah, là où j’ai une propriété, presque sauvage, très belle avec des montagnes autour et on peut faire le film pour trois millions. Ils ont dit d’accord et c’est comme ça que Sundance est né.

Naissance de son engagement écologiste

Robert Redford dans Jeremiah Johnson de Sydney Pollack - Droits réservés.

Robert Redford dans Jeremiah Johnson de Sydney Pollack – Droits réservés.

Est-ce que cette conscience écologiste est née justement à Sundance ? « Ecologiste, je pense que je l’étais déjà bien avant Sundance. Parce que j’avais compris à quel point le pouvoir ne s’intéressait à la terre que comme source de bénéfices et qu’il y avait une fracture entre Washington et le reste du pays qui est évidemment encore plus grande aujourd’hui avec l’actuelle administration.

C’est à partir de ce constat-là que j’ai un développé l’idée qu’il nous fallait définir une partie de la nature à conserver, à laisser tranquille comme elle est censée être et une autre partie de la nature que nous pouvions développer. Et c’est pour cela que je me suis engagé dans ma vie politique pour la préservation de l’environnement et de la nature.

Au sujet de Sidney Pollack encore, Robert Redford évoque l’importance vitale de la confiance d’un acteur accordée à son réalisateur : «  Si on est face à un réalisateur dont on sait qu’il va prendre soin de vous ; si la confiance s’établit, alors on peut vraiment explorer tous les aspects de son personnage pour l’incarner au mieux. Et la force de la relation qui s’est établie entre Sydney Pollack et moi était cette confiance totale. Il y a alors une énorme liberté, une prise de risque aussi. On est capable de se tromper. Je regrette vraiment qu’il ne soit pas là avec nous. »

 « Je veux reprendre mon activité initiale d’artiste »

Robert Redford aux César 2019. Crédit photo : Mireille Ampilhac

Robert Redford aux Cesar 2019. Crédit photo : Mireille Ampilhac

Pour clore la masterclass, le journaliste revient sur la décision de Redford de prendre sa retraite. Est-elle vraiment définitive ?

« Je n’ai pas de projet de film en tant que réalisateur et ce que je voulais dire à propos de mon job de comédien, c’était que je le pratique depuis très longtemps, depuis mes 21 ans ! J’en ai 82 aujourd’hui et peut-être que ça suffit !

Maintenant le moment est venu pour moi de revenir à ce que je faisais avant d’être comédien, c’est-à-dire de vouloir être artiste. C’était quelque chose de très important pour moi. Je suis venu à l’âge de 18 ans à Paris dans cet état d’esprit mais la vie a pris un autre cours.

Je suis devenu comédien, puis réalisateur. Il ne faut jamais dire jamais mais quand même, maintenant, le moment est venu pour moi de revenir vers mon activité initiale d’artiste.

Cela veut dire, Robert Redford, que vous allez reprendre vos pinceaux ? demande surpris le journaliste – Oui ! répond immédiatement l’intéressé.

Un « oui » sincère et joyeux qui conclut ce moment fort passé avec un artiste complet mais dont la surprenante modestie l’empêche de se définir ainsi…

Un grand merci à Sarah Taupin pour ses superbes dessins de la rencontre. 
Découvrez tous ses dessins sur son compte Instagram @femmestabilo !

Egalement merci au blog United States of Paris 
qui a fait une bien meilleure photo que moi de la rencontre à la Cinémathèque !

Et enfin, le très joli portrait de Robert Redford aux Cesar 2019 
qu'a réalisé la talentueuse Mireille Ampilhac !
Bob 2

Le téléphone, outil indispensable pour mener l’enquête – Les Hommes du Président par Sarah Taupin

 

Post A Comment