Un Tartuffe très très hot pour célébrer Molière
Pour les 400 ans du « Patron », la Comédie-Française a mis le paquet, et ce pour notre plus grand plaisir. Le 15 janvier dernier, avait lieu la première du Tartuffe d’Ivo Van Hove, suivi du traditionnel hommage à Molière, diffusé en direct dans tous les cinémas Pathé de France et de Navarre. Quelques jours plus tard, on est revenu sur les lieux du crime.
Avec cette nouvelle version du Tartuffe (ici nommé Tartuffe ou l’Hypocrite), il fait décidément très chaud en ce moment, salle Richelieu, et ce pour quatre raisons.
Molière, une langue riche et explosive
N’en déplaisent aux puristes, Tartuffe est totalement dépoussiéré et c’est tant mieux. Il s’agit en effet, ici, de sa première version en trois actes, presqu’immédiatement interdite par Louis XIV, sous la pression des dévots de son temps et qui ne fut jamais rejouée par la suite.
On y découvre, à travers une virulence de ton étonnante, dans une versification parfaitement maîtrisée, le regard acéré de Molière sur la micro-société de l’époque aristocrato-bourgeoise, contrite en dévotion et qu’il fréquente au quotidien.
Sur la forme, deux actes ont sauté et l’écriture des scènes est volontairement plus ramassée. Sur le fond, cette version se concentre sur la relation triangulaire Orgon-Tartuffe-Elmire.
On doit ce travail ciselé aux travaux de recherche de Georges Forestier, universitaire et biographe spécialiste de Molière. Comme un rosier foisonnant retaillé avec attention, la pièce de Molière gagne en fluidité et en clarté, sans nous priver des répliques cultes telles que « Couvrez ce Sein, que je ne saurais voir » ou « Ah ! pour être Dévot, je n’en suis pas moins homme ».
Une troupe brillante et engagée
Les personnages secondaires ont bien sûr leur importance dans ce mécanisme comique bien huilé. Ainsi Dorine (Dominique Blanc, magnifique dans ce personnage pétillant et à la langue bien pendue), Cléante (Loïc Corbery incarne le souci de faire éclater la vérité avec beaucoup d’humour et de sincérité), Damis (Julien Frison, dans une présence très physique pour traduire le tourment dans lequel son personnage est plongé) et Mme Pernelle, la mère d’Orgon (redoutable Claude Mathieu).
Dans cette version, le nombre de personnages a également été réduit. Les personnages sont ici plus clairs dans leurs intentions, tandis que le travail de cette troupe brillante pour rendre le texte parfaitement audible est indéniable.
Ivo Van Hove, une mise en scène érotisée à l’extrême
Le metteur en scène belge est un invité récurrent de la Comédie-Française. On lui doit des spectacles choc tels que Les Damnés adapté de Visconti et Electre/Oreste d’Euripide. Fidèle à son équipe technique (la scénographie Jan Versweyveld, la dramaturgie de Koen Tachelet, le son de Pierre Routin, notamment) il s’entoure ici d’un compositeur de cinéma de taille, Alexandre Desplats. La musique de ce dernier accompagne tout au long de la pièce les comédiens dans un continuo très riche, entremêlé de sons et d’éclairages inquiétants, traduisant la noirceur de la situation dans laquelle cette famille bourgeoise se retrouve plongée jusqu’à l’implosion.
Ivo Van Hove prend des libertés avec les intentions de Molière : avec le parti pris d’érotiser à l’extrême la relation de Tartuffe et d’Elmire, jusqu’à un dénouement (peut-être un peu trop) surprenant. Le personnage d’Orgon, est bien malgré lui, au cœur de cette tension sexuelle croissante et qui va l’emporter lui-même dans les affres du désir.
Ce parti pris d’érotiser l’intrigue, dans le jeu, la musique et l’espace renforce l’atmosphère haletante et électrique de l’ensemble.
Christophe Montenez, un Tartuffe sulfureux inédit
Point d’orgue de ce processus dramaturgique tendu autant qu’inattendu, il y a Tartuffe, cet « hypocrite » (et non plus « imposteur ») qui tourmente tout autant qu’il est tourmenté, face à une Elmire très ambivalente (merveilleuse Marina Hands).
Le corps du comédien est ici volontairement sublimé (scène initiale du bain mémorable inventée pour l’occasion). Il est incarné par l’hypnotique Christophe Montenez. Le travail de ce dernier réside dans ce jeu toujours sur le fil, entre contrôle et lâcher-prise, du corps et de la voix. Celle-ci, si particulière, si unique à l’oreille, tour à tour, sensuelle, séductrice ou emportée, nous plonge dans toute l’étrangeté de son personnage, entre monstruosité et humanité.
Oui, il fait décidément bien chaud sur le plateau de la salle Richelieu en ce moment et ce jusqu’au 24 avril.
NB : La pièce filmée en direct dans les cinémas Pathé sera également à redécouvrir sur grand écran à partir du 6 février.
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Pour le (re)voir au cinéma
Le Tartuffe ou l’Hypocrite De Molière Mise en scène de Ivo Van Hove Version interdite en trois actes de 1664, restituée par Georges Forestier avec la complicité d’Isabelle Grellet. Avec Claude Mathieu, Denis Podalydès, Loïc Corbery, Christophe Montenez, Dominique Blanc, Julien Frison et Marina Hands et les comédiens et comédiennes de l’académie de la Comédie-Française Dramaturgie de Koen Tachelet Scénographie et lumières de Jan Versweyveld Costumes d’An D’Huys Musique originale de Alexandre Desplats Collaboration musicale de Solrey Son de Pierre Routin Vidéo de Renaud Rubiano Assistanat à la mise en scène de Laurent Delvert Assistanat à la scénographie de Jordan Vincent Assistanat aux lumières de François Thouret